Récit premier

Publié le par lap1.blanc

[Ce (petit) récit est un peu en marge de l'histoire principale. Il n'influence en rien sur le cours de l'histoire et se passe peu après la partie 5.]

Le capitaine de vaisseau Paul Kerton attendait en uniforme d'apparat, raide, derrière la porte principale d'un amphithéâtre du QG de la Flotte Impériale. Malgré le contrôle volontaire qu'il exerçait, il ne pu empêcher sa main gauche de trembler. Il enserra puissamment la garde de son antique épée, symbole de son autorité, pour tenter de se calmer. Il tourna la tête sur la droite puis sur la gauche pour affronter le regard des gardes qui l'encadraient. Ils étaient tous deux plus grand que lui de quelques centimètres, et leurs musculatures accentuaient encore le contraste entre eux et lui. Ils portaient l'uniforme de combat du Corps d'Elite de l'Empereur. Alors que lui même portait l'écusson de son vaisseau sur son épaule droite, ils ne portaient que l'écusson de leur Corps, signe qu'ils appartenaient à un régiment qui n'était pas attaché à un vaisseau. Signe aussi qu'ils ne devaient certainement pas le comprendre, comme le soulignait leurs regards qui, derrière leur indifférence, lui portaient le plus grand mépris.

Il reposa les yeux en face de lui, sur la porte d'un noir profond, sans aucune fioriture, aucun symbole. Un signal sonore retentit doucement et les gardes ouvrirent chacun un pan de la double porte pour laisser apparaître deux autres gardes de l'autre côté, qui se mirent au garde à vous en le laissant passer. Sans comprendre comment, le capitaine avança, suivi de près par ses gardes, jusqu'au centre de la pièce. Il se tourna vers les gradins, face à l'Amiral Julius qui se trouvait debout devant une table sommaire, encadré par deux enseignes de vaisseaux, tous dans leurs tenues d'apparat. Il se mit machinalement au garde à vous devant son supérieur. Il réalisa à cet instant que les gradins étaient pleins, supportant la centaine d'officiers venus assister à la cérémonie. Il lui fallu encore quelques secondes pour comprendre qu'ils étaient en tenue de combat, comme l'exigeait le protocole.

L'Amiral Julis s'avança doucement du capitaine Kerton pour s'arrêter à deux mètres de lui. Il fit résonner sa voix de contre-alto dans l'amphitéâtre :

- Capitaine de vaisseau Paul Kerton, vous avez été jugé par une cour martiale légale et impartiale pour désertion en présence de l'ennemi, insubordination en présence de l'ennemi, mise en danger volontaire d'officiers de l'Empire et manquement à votre devoir envers l'Empereur. D'après une expertise ordonnée par l'Amirauté, vos actes ont causé la mort de l'Amiral John Brodwidge, du capitaine de frégate Hans Walter, du capitaine de vaisseau...

Le capitaine n'écoutait plus, la voix de l'Amiral n'était qu'un bruit de fond alors qu'il se repassait mentalement les évènements. L'escouade de croiseurs lourds avait été interceptée par l'ennemi et ils étaient sous le feu de celui-ci, harcelant sans cesse l'escouade. Son vaisseau avait été jusque là indemne, mais la perte progressive des vaisseaux de celle-ci diminuait graduellement les défenses actives communes. L'escouade était restée concentrée pour fusionner les boucliers. Cette technique permettait de protéger beaucoup plus efficacement un ensemble de vaisseaux, mais réduisait par la même la capacité de mouvement et le nombre de bordées utilisables. Il se souvient du premier rayon à avoir frappé son vaisseau. Quasiment aucun dommage, mais il avait alors eu la certitude qu'il allait finir comme les autres, mort dans les fracas de son bâtiment. La seule solution était la dispersion, pensait-il, car l'ennemi ne pourrait poursuivre tous les vaisseaux en même temps, mais l'Amiral refusait de donner cet ordre. Il avait alors décidé de sauver sa peau en rompant les rangs. Il se trouvait dans un état second. L'ennemi ne le poursuivit pas, mais l'Amiral braillait déjà sur le canal de communication, lui ordonnant de retourner dans les rangs, que l'absence du Conqueror les privaient d'une puissance défensive conséquente. Il avait coupé la communication et avait frappé son second qui déversait sur lui tout son soul et l'avait mis en joue avec son arme de poing.

Le silence se fit. L'Amiral avait fini d'énoncer les noms de ceux qu'il avait tué indirectement. L'Amiral fit résonner l'ordre de repos et continua à faire tonner sa voix sourde :

- Cette cour vous a jugé coupable de tous les faits qui vous sont reprochés, et la première sentence est votre radiation de la Flotte.

L'Amiral recula d'un pas et un des enseignes s'avança lentement vers lui, s'arrêtant à moins d'une enjambée.

- Capitaine de vaisseau Paul Kerton, par l'autorité qui m'est conférée par l'Amirauté, je vous ôte le commandement du Croiseur lourd Conqueror.

Sur ces mots, l'enseigne lui arracha d'un geste sec l'écusson à son épaule droite et le laissa tomber à terre. Un enseigne! C'était un enseigne qui le déshonorait, qui souillait son nom! L'amiral reprit :

- Je vous ôte votre grade de capitaine de vaisseau.

L'enseigne arracha les insignes à ses épaules et son veston pour les laisse choir dans un bruit qui retentit dans tout l'amphithéâtre alors que les tenant en alliage venaient taper contre l'acier gris et froid recouvrant le sol. L'Amiral attendit que l'écho s'éteignent avant de continuer, comme pour l'humilier encore plus, pour que tout le monde puisse entendre sa déchéance jusqu'au bout.

- Je vous ôte votre licence de commandement de bâtiment de l'Empire.

L'enseigne prit le béret de l'ex-capitaine et en arracha sèchement les étoiles pour les faire rejoindre le reste de ses symboles d'autorité. Paul ne pût réprimer un petit tic en entendant ses insignes tomber au sol. Il avait toujours aimé être sur une passerelle. Il ne pourra jamais plus. L'enseigne reposa le béret, désormais troué, sur la tête de Kerton.

- Enfin, je vous enlève toute autorité au sein de la Flotte de l'Empire.

Il avait insisté dur le "toute". L'enseigne défourra l'antique épée et recula d'un pas avant de la présenter à plat dans ses mains à l'ancien capitaine. Ce dernier se tendit lorsque l'enseigne se déplaça d'un pas sur la gauche et accomplit un quart de tour à droite pour présenter l'épée à l'Amiral qui s'avança pour la saisir par la garde. Il s'immobilisa devant Paul, plia la jambe et rompit l'épée dessus d'un coup sec, dans un fracas de métal. Un frisson parcourut le corps de Paul alors que l'écho se fraya un chemin dans le soupir soulagé des officiers présents. L'Amiral jeta l'épée aux pieds de Paul avec un mépris qu'il ne cherchait plus à cacher, maintenant que Paul Kerton ne faisait plus partie de la Flotte. Le visage de Paul qui était resté aussi impassible que possible durant toute la cérémonie affichait désormais une mine de dégoût qu'il dirigea vers l'Amiral. Il était partagé entre une profonde honte et une fureur noire. On l'avait déshonoré alors qu'il avait sauvé son équipage. Le reste des pertes étaient dues à l'Amiral Brodwidge, incompétent qui avait tenu à ce que l'escouade ne se disperse pas, alors que, d'après lui, c'était la meilleure des solutions bon sang! Mais les experts étaient payés, soudoyés, c'était sûr. Les amiraux Julius et Brodwidge étaient amis. Il n'avait pas du supporté et avait du peser de tout son poids, c'était sûr. Et les autres survivants ne le devaient qu'à la chance de s'en être sortis!

L'amiral inspira pour reprendre son discours.

- Puisque la Loi me permet, en tant qu'exécutant de la sanction, à formuler un avis personnel, je dirais simplement que la Flotte de l'Empereur n'aurait jamais due accepter un tel couard en ses rangs, ni à un si haut niveau. Votre famille, aussi influente soit-elle, n'a pu vous protéger de vos actes au sein de la Flotte, et justice est désormais faite. Cette cours n'a jugé que les derniers évènements, mais votre conduite tout au long de votre carrière a causé beaucoup de morts inutiles, Kerton. Pour ceux qui n'ont pas été représentés au procès qui vous a condamné, la deuxième sanction leur rendra justice.

L'Amiral recula et une porte s'ouvrit sur le côté, alors que les officiers se levèrent et se dirigèrent vers les sorties. Paul Kerton avança comme un automate, absent, son coeur battant à tout va comme pour signifier qu'il était quand même encore vivant, vers la porte qui venait de s'ouvrir, encadré par ses gardes.

C'était une reconstitution d'un environnement en plein air. Le QG de la Flotte était enfouie sur une lune artificielle autour de la Terre. Si on se fiait à l'environnement holographique, il faisait un soleil radieux, chaud, et un petit vent frais soufflait, remuant l'herbe que foulait désormais Paul Kerton et ses gardes, alors que les officiers s'installaient sur des gradins derrière lui. Paul ne prit conscience du poteau qu'au dernier moment, et son visage affichait maintenant une peur viscérale. Alors que l'Humanité avait fait d'énorme progrès pour sauver des vies, on allait maintenant mettre fin volontairement à la sienne!

Les gardes ne le ménagèrent pas, et l'attachèrent brusquement au poteau de bois. Tétanisé, il ne pût protester ou se débattre. Il allait mourir.

L'Amiral Brodwidge se tenait à côté du peloton de 5 fusiliers marins, armés de fusils à balles. On n'utilisait plus ces armes au combat depuis plusieurs siècles, mais l'Empire continuait d'en fabriquer, pour la chasse, les concours, le sport... Et les exécutions. Il entendit à peine la voix de l'Amiral.

- Paul Kerton, par ordre de la cour martiale et avec l'aval de l'Empereur, vous avez été condamné à mort pour désertion, désertion en présence de l'ennemi, et insubordination ayant entraîné la mort de soldats et d'officiers de l'Empire. Par votre exécution, la Flotte Impériale lave son Honneur et rend justice aux morts et blessés occasionnés par votre seule et unique faute. Avez-vous une dernière volonté?

Paul laissa alors échapper toute sa fureur et son soul sur l'Amiral, la Flotte, l'Empereur, et tout le reste. Il se lâcha complètement, révélant aux personnes présentes toute sa colère... et son déshonneur.

L'Amiral attendit patiemment. Puis il continua la cérémonie d'un ton monocorde, emprunt de dégoût pour celui qui était attaché au poteau de l'autre côté du "pré".

- Apprêter armes!

Les soldats s'exécutèrent lentement. Un frisson parcourut l'ensemble du corps de Paul et il tressaillit sur son poteau, mordu par la réalité et la fatalité de ce qui allait se passer, inéluctablement.

- En joue!

L'Amiral Julius leva l'antique épée alors que les soldats épaulèrent leurs fusils. Le coeur de Paul Kerton battit à tout rompre dans sa poitrine, comme pour hurler qu'il voulait continuer, qu'il voulait vivre. Qu'il regrettait. L'Amiral tourna la tête vers Paul, et abattit son épée :

- Feu!

Cinq balles déchirèrent le corps de Paul. Il les sentit pénétrer dans sa chaire, le brûler, et il ne pût retenir un hurlement. Tout semblait aller extrêmement lentement. Il n'arrivait pas à déterminer où il avait été touché tellement la douleur irradiait dans son corps. Un hurlement de l'Enfer lui explosait les tympans, avant de se rendre compte qu'il s'agissait de sa propre voix, déformée par le sang qui lui remontait dans la gorge.

- Feu!, hurla l'Amiral qui vit que le condamné n'était pas mort. Si il détestait l'ancien capitaine pour ce qu'il avait fait, il ne pouvait se résoudre à jouer le barbare.

Cinq autres balles vinrent se ficher dans le corps du condamné. Si quatre avaient atteint des points non vitaux comme les cinq précédentes, Paul ne sentit pas la cinquième transpercer celui qui s'échinait à battre à tout rompre, de peur et de douleur.

L'ex capitaine de vaisseau Paul Kerton finit de s'écrouler avec un visage déformé par la douleur et l'horreur. Trois infirmiers vinrent le détacher après avoir constaté son décès. Les officiers se levèrent en silence, quittant le "pré".

- Rompez! ordonna l'Amiral au peloton. Les soldats firent demi-tour et sortirent par une porte dérobée derrière les gradins. L'Amiral s'avança vers les infirmiers affairés à mettre le corps sur la civière anti-gravité. Il regarda le corps mutilé avec une totale indifférence. Si la Flotte avait lavé son Honneur aujourd'hui, il restait cependant bien trop de Paul Kerton en puissance dans ses rangs, se dit-il. La civière anti-gravité s'en alla, accompagnée par les infirmiers. L'Amiral resta seul un moment, regardant le poteau où avait été tué celui qui avait tué, indirectement, son ami et collègue. Il se décida à sortir dans un grognement pour rejoindre son bureau, laissant derrière lui s'éteindre les lumières du champ du déshonneur.

Publié dans Roman et récits

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